Nom: Karima El Kharraze
Ville natale: Evreux
Ville actuelle: Saint-Denis (93) / Casablanca (Morocco) / Colombus (Georgia)
Travail: Autrice / Metteuse en scène
Âge: 38 ans
Qu'est-ce qui signifie, pour vous, la poésie ?
La poésie est le pain qui m’a nourrie quand tout autour de moi était saturé de gris. À l'adolescence j'écrivais de courts poèmes où la vieille bouilloire cabossée une fois appelée SAMOVAR transformait le petit HLM aux murs décrépis où nous vivions à 8 en grande datcha. (1)
Qui est votre poète préféré ?
Nass El Ghiwane, groupe de musique marocain des années 70. (2)
Pourquoi aimez-vous ce poète ?
J’aime la force de l’incantation et la simplicité de leurs mots. J’ai grandi en France, mes parents sont marocains. A l’école, Jean de la Fontaine fustigeait avec ses animaux le pouvoir arbitraire de Louis XIV et à la maison Nass El Ghiwane nous nimbait d’une puissance propre à secouer le joug de tous les tyrans. Dans ma pièce Arable, le personnage de M rend hommage à Nass El Ghiwane en évoquant la chanson «Le Chamelier»: (3)
M
Tu es dans le noir
Tu as retrouvé une cassette de Nass El Ghiwane
Le groupe marocain des années 70
Que vous écoutiez dans la voiture avec tes parents
Pendant le voyage au bled
Tu es dans le noir
Tu t’allonges sur le petit lit de la chambre universitaire
Tu écoutes
La chanson qui s’appelle Le Chamelier commence
Tu écoutes
Et là tu as une révélation
Tu voulais réussir tes études
Tu voulais avoir un destin plus grand que celui de tes parents
Tu voulais quitter ta vie d’avant
Tu voulais que désormais la vie te sourie
Et là tout-à-coup plus rien n’a d’importance
Et là tout-à-coup tu as une révélation
Tu sens que tu es plus importante que tout le reste
Tu sens une grande force qui avance dans le noir
Tu sens que maintenant quand tu vas marcher dans la rue
Les montagnes vont t’accompagner
Peu importe que ce soient les Alpes ou le Toubkal
Maintenant les montagnes sont de ton côté
La voix qui interpelle le chamelier
La voix qui interpelle le chef du troupeau
La voix qui ne se laissera pas étouffer par les sabots des fantassins
Les fantassins de quelque empire que ce soit
La voix qui raconte cette grandeur passée dont on ne t’a jamais parlé
Dans le noir de la cité universitaire tu la fais tienne.
M
You are in the dark
You found a Nass El Ghiwane cassette,
The Moroccan group from the 70s
Who you would listen to in the car with your parents
During the trip back to the bled[1]
You are in the dark
You lie on the bed of your university dorm room
And you listen
A song called “The Camel Herder” begins
You listen
And, there, you have a revelation
You were trying to succeed in your studies
You wanted to have a destiny bigger than that of your parents
You wanted to leave behind your old life
To see what life had in store for you
But all of the sudden, all of that loses importance
And suddenly you have a revelation
You feel your importance
You feel a strong force advancing into the dark
You feel that now when you go walk down the street
Mountains accompany you
Whether those are the Alps or the Toubkal makes no difference
Now, the mountains are on your side
A voice that calls out to the camel herder
A voice that challenges the leader of the flock
A voice that can not be stifled by calvary hooves
Or the infantrymen of any empire, whatsoever
The voice tells of a past greatness that was never recounted to you
In the darkness of the university residence, it becomes yours.
(extrait d’Arable de Karima El Kharraze publié aux Editions Les Cygnes –
traduction de poème en anglais de Chanelle Adams)
[1] “Bled” is Arabic for rural area/village. In a migrant context it refers to the roots and to the country/region of origin of the family.
Au départ j'ai transcrit la poésie de Nass El Ghiwane en alphabet latin car je n'écris pas l'arabe, que j'ai appris uniquement oralement avec mes parents qui n'ont jamais été scolarisés. J'arrive désormais à déchiffrer l'arabe car j'apprends à écrire en arabe depuis peu. (4)
Ya Jemmal
Le Chamelier
The Camel Herder
Paroles de Nass El Ghiwane
Traduction en français, en anglais de Karima El Kharraze
يَا جَمَّالْ رْدْ جْمَالْــــــكْ عـْلِــيـنــَــا
Ya jemmal rd jmalek âlina
Chamelier retiens tes chameaux
Camel herder hold back your camels
راه احنا ولاد ناس وفي الخير تربينــــــــا
Rah hna ouled nass ou fel khir trebina
Nous sommes des enfants de bonne famille et dans l’abondance élevés
We are of good descent and raised in abundance
يَا جَمَّالْ رْدْ جْمَالْــــــكْ عـْلِــيـنــَــا
Ya jemmal rd jmalek âlina
Chamelier retiens tes chameaux
Camel herder hold back your camels
راه احنا ولاد ناس وفي العز تربينـــــــــا
Rah hna ouled nass ou fel êz trebina
Nous sommes des enfants de bonne famille et dans l’amour élevés
We are of good descent and raised in love
عـيونــــا علــى شوفـــة لَمْـلِيـحْ دَاوْ
Âyounna âla chouft lmlih dawe
Nos yeux au bien se sont habitués
Our eyes are fed with goodness
وانت ماشي زين لا ترمي لغبار ف عينينا
Ou nta machi zine la trmi lghbar f’êïnina
Et toi tu n’es pas bon ne jette pas de poudre dans nos yeux
And you are no good so don’t sully our eyes
يا جمال رد جمالــــــك علــيـنـــــا
Ya jemmal red jmalek âlina
Chamelier retiens tes chameaux
Camel herder hold back your camels
قلُـوبْـنـَــا ب كـلـمــة الـمـحـبة دواو
Gloubna bkelmet lmheba dwawe
Nos cœurs ont parlé le langage de la tendresse
Our heart’s motto is tenderness
وانت قلبك حجر . . . نوض اخطينــــــا
Ou nta guelbek hjer noud khtina
Et toi ton cœur est de pierre allez
And your heart is stone we want none of it
يا جمال رد جمالــــــك علــيـنــــا
Ya jemmal red jmalek âlina
Chamelier retiens tes chameaux
Camel herder hold back your camels
راه احنا ولاد ناس وفي الخير تربينــــــــا
Rah hna ouled nass ou fel khir trebina
Nous sommes des enfants de bonne famille et dans l’abondance élevés
We are of good descent and raised in abundance
لبسنا الحرير ورميناه كلمنا الحق وسمعنــاه لا ترمي لغبار ف عينينا
Lbessna lehrire ou rminah, kelemna lhak ou smânah la trmi lghbar f’êïnina
Nous avons porté de la soie et nous en sommes séparés
Nous avons convoqué la raison et nous l’avons entendue
Ne jette pas de poudre dans nos yeux
We threw away the silk we used to wear
We called to reason and grasped it
Don’t use your smoke and mirrors with us
يا جمال رد جمالــــــك علــيـنــــا
Ya jemmal red jmalek âlina
Chamelier retiens tes chameaux
Camel herder hold back your camels
شفنا الزين ودْحِينَــاهْ عْرْفْنَا لهوى وما بغيناه
Chefna zine ou dhinah, ârefna lehwa ou ma bghinah
Nous avons vu le beau et nous en sommes détournés,
Nous avons connu le désir éphémère et n’en avons pas voulu
We met beauty and left it
We knew ephemeral desire and didn’t want it
وتجي أنت يا جمــال وتدوز جمالك علينـا
Ou tji nta ya jemmal ou tedwez jmalek âlina
Et tu viendrais toi Chamelier et tu nous piétinerais avec tes chameaux ?
And you camel herder you come and want to trample on us ?
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Translation from French to English by Carrie Chappell
(1) Poetry is the bread that nourished me when everything around me was covered in grey. When I was young, I wrote short poems wherein the old, dented teakettle once called SAMOVAR transformed the dilapidating walls of our low-income housing into a big dacha where the 8 of us lived.
(2) Nass El Ghiwane, a Moroccan music group from the 70s.
(3) I like the power of the incantation and the simplicity of their words. I grew up in France, my parents are Moroccan. At school, Jean de la Fontaine lambasted us with his animals that portrayed the arbitrary power of Louis XIV, and, at home, Nass El Ghiwane cloaked us with power to shake off the yoke of all these tyrants. In my play Arable, the character of M pays homage to Nass El Ghiwane by evoking the song “Le Chamelier”:
(4) At first I transcribed the poetry of Nass El Ghiwane in the Roman alphabet because I didn’t know how to write in Arabic, had only learned it orally, in conversation with my parents who hadn’t themselves had a traditional education. Now, I can make sense of its letter forms as I’ve begun, quite recently, to learn its script.